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Lundi 6 août :
troisième jour de forêt.
Ce matin, nous laissons les tentes sur
place (on y reviendra ce soir) pour aller
jusquau village de Jean. Nous
traversons en chemin un autre village
pygmée, plus petit, où Philippe leur
donne une photo prise lors dune
précédente expédition. Cris des femmes
pygmées devant un tel événement. Aujourdhui,
les colonnes de fourmis sont
particulièrement longues, et lon
doit sprinter sur vingt ou trente mètres,
ce qui nempêche pas den
avoir au moins trois ou quatre qui
grimpent jusquaux cuisses. Ah les
sales bêtes !
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Le village de Jean est le
plus grand quon ait vu, avec des
cases rondes, tissées et recouvertes de
feuilles. Ce sont des cases construites
très rapidement, les pygmées étant un
peuple avant tout nomade. Mais, sans
doute par la force conjuguée des
villageois et des missionnaires (qui sont
légions ici), ils ont de plus en plus
tendance à se sédentariser. Ce qui ne
peut que tuer leur civilisation et les
faire disparaître.
Déjà des cases rectangulaires en terre
séchée apparaissent et Philippe nous
dit que ce sont sans doute les dernières
cases rondes que lon pourra voir. |
De belles cases
rondes. |
Mais la culture
pygmée se perd. |
Une pygmette nous amène
un régime de bananes non mûres, que
nous ferons griller un peu à lécart.
Pendant ce temps, Jean raconte à
quelques hommes du village sa chasse de
cette nuit avec deux blancs et ils ont lair
de bien se marrer. Personne ny
comprend rien bien sûr, mais les
mimiques parlent delles-mêmes.
Aucun pygmée ne parle le français mais
ils comprennent un peu le sango, la
langue des villageois. Cest
pourquoi toute transaction doit passer
par leur intermédiaire, ce qui ne
facilite pas les choses.
Philippe leur avait amené des paquets de
sel et des instruments de cuisine, que
Jean lui avait dit avoir besoin lorsque
Philippe le lui avait demandé lors dune
précédente expédition. Ils ne
connaissent dailleurs pas largent.
Cela nous met un peu mal à laise
de nous livrer à une débauche de photos
mais ils sy prêtent de bon plaisir
et tout se passe dans la bonne humeur.
Nous sommes tout de même aussi
responsables de leur déchéance.
Au retour, en repassant par le premier
village, on apprend quil y a une
fête ce soir. Nous décidons donc dy
retourner après dîner. |
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Tout le monde est
là. |
Il est dusage que
le chasseur reçoive à manger la tête
et les entrailles de la bête abattue,
car ce sont les parties quils
préfèrent. Seulement, ce sont aussi les
morceaux préférés des porteurs et ceux-ci
vont déjouer la vigilance de Philippe.
À la question : " Quelle est lassiette
de Jean que je le serve ", lun
des porteurs va mentir. Et lorsque
Philippe sen apercevra et ira lengueuler,
lintéressé détournera simplement
la tête. Quant à Jean, il est bien trop
fier pour se plaindre. Cette mentalité
pas très droite des villageois, on la
retrouvera tout au long du séjour. On ne
peut avoir confiance en eux,
contrairement aux pygmées.
Normalement, deux autres personnes
devraient aller à la chasse cette nuit
avec Jean. Moi je tenais toujours à mon
idée de tirage au sort, tenant à y
aller mais ayant un peu peur dêtre
complètement HS le lendemain si lon
devait encore rentrer à quatre heures du
matin. En fait, une personne sétait
engagée ferme et moi javais dit
que je voulais en être. Puis la femme dun
des chasseurs de la veille se dit quaprès
tout elle aimerait aussi y aller. Je lui
propose alors de tirer au sort avec moi.
Elle me rigole au nez : elle voulait
simplement que je lui laisse la place,
sans autre formalité. Il nen
était pas question et elle me fit chier
jusquau dernier moment. |
Bonjour mon cousin
! |
Adolescents. |
La chasse devait avoir
lieu après la fête du village mais ne
se fit pas car Jean avait mal au ventre.
La marche de nuit pour aller au village,
distant dune demi-heure, valait son
pesant dor. Les bruits étaient
différents et comme amplifiés. Armés
de nos lampes de poche que nous
balancions à la manière des lampistes
de la SNCF, pour balayer le chemin, nous
annoncions les embûches tout le long de
la colonne car tout le monde navait
pas sa lampe.
Arrivés au village, tout était calme.
Quelquun nous dit que la fête
allait commencer mais était surtout
intéressé pour nous vendre des flûtes
et autres porte-monnaie artisanaux. Cétait
la première fois que nous rencontrions
ce genre dactivité et en étions
assez étonnés. |
Puis la danse commence
dans la pénombre dune lune presque
pleine. Quatre ou cinq enfants dabord
puis quelques femmes, au rythme des
tambours tenus par les hommes. Des flashs
crépitent et cest presque laffolement,
ils sarrêtent de danser, ne
comprenant pas ces éclairs dun
dieu fou. Il nous faut alors modérer nos
ardeurs.
Le pseudo-commerçant du début, qui nous
dit être le 'maître' du village, se
montre de plus en plus agité. Il parle
assez bien le français, mais na
pas réussi à nous fourguer la moindre
babiole, car nous lenvoyons
promener à chaque fois quil
revient à la charge. |
Danse rituelle. |
Une case
abandonnée. |
Philippe, qui était
resté au camp suite à une crise de
paludisme, avait fait porter au village
par un des porteurs, quelques paquets de
sel. Cela ne suffisait pas à ce charmant
'maître' qui commence alors à me tenir
un langage de plus en plus clair : "Vous
comprenez.... si vous voulez être en
bonne entente avec ces pygmées, pour quils
dansent pour vous et tout ça, vous devez
leur apporter des 'compensations',
cigarettes, briquets, etc. et pas
simplement quelques grains de sel, et
aussi leur acheter ce quils font".
- Ah, mais je croyais quils ne
connaissaient pas largent !
- Mais il ne faut pas commercer
directement avec eux mais avec leur
maître.
- Mais cest qui leur maître ?
- Cest moi.
- Et qui me dit que cest vous ?
Toute cette conversation a été
enregistrée à notre insu par lune
dentre nous qui avait emporté un
petit magnétophone pour les bruits de la
forêt et les chants et qui sétait
intéressée à ce dialogue.
Je répondis à ce charmant propriétaire
desclaves que notre guide était
resté au camp et que des transactions
avaient certainement été conclues avec
lui. Nous, on en avait rien à b... de
cette histoire, point final. Le tort que
jai peut être eu a été de mempresser
de raconter tout ça aux autres et ça a
fini par le mettre hors de lui, si bien
quil nous a fallu partir.
Racontant ceci à Philippe à notre
retour, celui-ci appelle le porteur et
lui demande de décrire le type : il nétait
pas du tout le 'maître' de ce village
mais un vendeur de pacotilles pour
touristes sur la rive beaucoup plus loin.
Demandant à Paul (le porteur) qui
connaissait, lui, le vrai 'maître',
pourquoi il avait laissé les choses
aller aussi loin, celui-ci se renferma
dans un silence gêné. Philippe décida
daller dire deux mots à ce type
mais on ne sut jamais vraiment ce qui sest
passé. |
Mardi 7 août 84
: quatrième jour de
forêt.
La veille, Philippe sétait occupé
à sa manière dun arbre connu sous
le nom de parasolier (voir la photo
ci-dessous). Son tronc est
formé à la base dune multitude de
petits troncs. Coupez-en un
et il sen écoule une eau claire et
tout à fait buvable, avec un léger
goût de 'densité'. Au matin, le
jerrican de 20 litres était rempli.
Depuis le temps que nous navions
pas bu une eau sans y adjoindre quelques
pastilles, cela faisait plaisir.
Retour aujourdhui au village de
Pomboko par un autre chemin qui longe
longtemps un lac complètement envahi par
la végétation. Lors dune pause,
nous pourrons boire directement dune
liane à eau, et en plus cest frais.
Certains arbres sont vraiment magnifiques.
On dirait quils se hissent sur
leurs racines le plus possible pour
atteindre le haut de la forêt et leur
place au soleil. Bonne averse le soir, si
bien que je mets mon short à sécher à
un mètre de ma tente. |
Notre guide
Philippe. |
Un parasolier. |
Boire d'une liane
à eau. |
Un bout de village. |
Mercredi 8 août
84 : descente de la
Lobaye.
Plus de short ! Il était vraiment trop
beau, quelquun naura pas su
résister. Jaurais dû de toute
façon le rentrer hier soir dans la tente,
car certaines mouches pondent dans le
linge la nuit et ces gentilles bestioles
vous pénètrent ensuite dans la chair.
BOUUHHHH !En descendant la Lobaye, ça
va plus vite, et nous arrivons
effectivement à MBata assez
rapidement. Il sagit là dun
village plus important, relié par la
route, avec marché, écoles, lieux de
cultes etc. Le temps dune bonne
bière et nous allons chercher le
boulanger pour le dévaliser.
Il ne lui reste plus que trois pains et
demi : " Bon, on prend déjà ça et
tu nous en prépares 100 pour demain
matin ", lui dicte Philippe. Le pain
dici se conserve une bonne semaine.
Bivouac à quelques kilomètres de là,
sur la place dun village de trois
ou quatre huttes : MGaboha.
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Jeudi 9 août 84
: la fièvre!
Ce matin, nous restons à trois dans le
village, les autres étant retournés à
MBata pour finir les emplettes.
Inquiétudes : après le café, je suis
saisi dune bonne poussée de
fièvre et jai du mal à me
traîner. Jengloutis le reste de
mes vitamines C et me plonge carrément
dans la Lobaye. Cest pas un sale
petit virus qui va faire la loi, non ! La
fièvre disparaîtra progressivement
jusquau lendemain. Comme pour
vérifier la loi de lemmerdement
maximum, les lentilles que javais
mises à chauffer sur le feu se
découvrent une envie de partir en
vacances et je les retrouve à se dorer
sur le sable. Heureusement, une
villageoise maidera à relaver tout
ça et personne ne se cassera les dents
à midi.
Par curiosité, je laisse monter une
fourmi sur mon index et à ma grande
stupéfaction, je vois celle-ci en
perforer le bout sans que je ressente de
douleur! Et tenez-vous bien : elle s'engouffre
presque entièrement dans mon doigt, m'obligeant
à la retirer par ce qui reste de son
corps. J'aurai quelque mal à colmater la
petite plaie. |
Visite dune scierie
dans laprès-midi, tenue par des
européens évidemment ! Dimmenses
troncs dont le diamètre est plus grand
que nous ; de lacajou
principalement. En repartant, la
luminosité est telle que tout paraît
merveilleusement beau. |
Un tronc coincé
par un autre. |
Sac à main. |
Vendredi 10 août
: le match de foot.
Direction Zinga, poste frontière où lon
nous attend théoriquement pour un match
de foot. En cherchant nos passeports, lune
dentre nous saperçoit quelle
avait laissé au moins 300 francs dans le
sien à laller. Inutile de dire quils
ny étaient plus. Le SMIC étant denviron
400 francs ici, nimporte qui se
serait laisser tenter.
Afin dattendre les fonctionnaires
et que la chaleur soit moins torride, on
nous fait un peu languir pour le début
du match, si bien quon écluse
quelques menues bières, peut être même
un peu plus quil neût été
sage.
Arrivée sur le terrain triomphale. Cétait
la quatrième fois quun match
était organisé ici contre des blancs.
La veille, lautre groupe du point,
les soi-disant sportifs, sétait
fait battre onze à zéro. Notre seule
ambition était de faire mieux queux.
Des deux premiers matchs, Philippe en
avait retiré quil fallait surtout
exiger un arbitre honnête, un des
matchs ayant été subitement arrêté
parce que léquipe des pointistes
menaçait de gagner. |
Aucun dentre nous nétant
footballeur, on sétait dit que des
nanas pourraient très bien jouer aussi,
elles ne feraient pas pire que nous.
Philippe nous prévint que cela allait
mettre une sacrée ambiance autour du
stade et quils en rigoleraient
encore dans trois générations. Mais
aucune ne se décida, dommage. Notre
stratégie était simple : renvoyer le
ballon le plus loin possible. Deux avants,
huit défenseurs et du béton. Les dix
premières minutes, je cours comme un fou.
Des mauvaises langues prétendent que sur
le terrain jétais le plus rapide...
sans ballon. Juste avant lasphyxie,
je me calme un brin.
Cest un terrain un peu bizarre, les
buts étant complètement désaxés et
quatre arbres étant venus pousser au
milieu. Nos supporters se déchaînent et
les gosses du village reprennent en
chur les slogans : " Aller
machin ! " Nous résistons bien
pendant les vingt premières minutes,
nous inclinant un à zéro à la fin de
la première mi-temps dune demi-heure.
Mais ils ont gardé leur botte secrète
pour la deuxième mi-temps : un
monsieur muscle qui joue dans léquipe
nationale. Ses cuisses font peur à voir.
Aïe, mon doudou ! quest-ce que je
viens faire là dis donc ! |
Alors je ne le quitte pas
dune semelle, lui menant la vie la
plus dure possible, et ça marche pas mal,
lobligeant souvent à reculer au
milieu du terrain. Il réussira tout de
même à marquer un superbe but de la
tête. Et puis coup de théâtre : un de
nos hommes à lavant (un africain
car nous nétions pas assez
nombreux pour former une équipe entière)
a la balle, passe un adversaire, puis
deux, se retrouve seul devant le gardien
et PAN ! dans les filets (sil y en
avait eu). Clameur indescriptible. Ça
dure bien deux minutes avant quon
soit en état de rejouer. Sur un score de
six à un, nous payons une bière à nos
vainqueurs qui lont bien méritée.
Nous plantons nos tentes le soir sur un
banc de sable, dans une île 'no mans
land' au milieu de lOubangui. |
À table ! |
Termitière. |
Samedi 11 août
84 : On passe le temps.
Normalement, nous aurions dû arriver à
Bangui aujourdhui, mais on
bivouaquera ce soir à lécole
abandonnée, de façon à nous faire
gagner une nuit dhôtel. Beaucoup
de bateau à faire car on remonte le
courant. Le temps passe entre prises de
photos, concours de belote et de tarot,
et bien sûr lécriture de ce
journal. |
Pris au vol. |
Retour de pêche. |
Dimanche 12 août
84 : un brin de politique étrangère.
Arrivée à Bangui vers midi : douane,
hôtel, douche et plongeon dans la
piscine. Jamais douche naura été
plus attendue et appréciée. Les jambes
et surtout les pieds ne sont que plaies
et bosses, piqûres et égratignures : lenfer
vert a encore frappé.Je discute un
peu avec les militaires au bord de la
piscine, à la grande surprise de
certains. Ils ont la vie belle ici, les
tondus : hôtel de luxe, piscine,
tennis, belles petites putes. Evidemment,
le Tchad nest pas loin et ils
tournent régulièrement entre Djibouti,
N'djamena, le Gabon et Bangui. Trois
mille hommes sont stationnés à Bangui.
Les hélicoptères et deux transals, à
la porte de laéroport, sont là
pour bien nous le rappeler. Les chasseurs,
par contre, sont cachés un peu plus loin,
me confiera un étudiant centrafricain.
Et de fait, les Français sont ici chez
eux. Il y a bien un général
centrafricain, président du pays et du
comité pour le redressement national. Il
est dailleurs très très
recommandé dafficher sa photo si
on tient une quelconque échoppe et à
celle-ci.
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