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LES TÂCHES DE LA PHILOSOPHIE 3/5
Introduction à un cours de philosophie à l'Université Populaire de Strasbourg en 2001/02, par le Dr. Georges Leyenberger.
RAPPEL : Depuis environ 2500 ans, la philosophie essaye de remplir une quadruple tâche :
A. Fonder le savoir.
B. Constituer une mémoire.
C. Instituer un écart, une distance.
D. Ouvrir des chemins.
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C) INSTITUER UN ECART, UNE DISTANCE

On a souvent reproché à la philosophie sa prétention à fonder la vérité et à dire ce qu’est la vérité. C’est compréhensible, car la philosophie, depuis Platon, a eu la redoutable tâche d’être le discours le plus accompli, situé au-delà du discours de la science, de la politique, de l’art. C’est pourquoi la philosophie s’est érigée elle-même en savoir ultime, en savoir de la vérité. Elle s’est donnée comme une discipline détenant le critère du vrai et du faux (pour la theoria), du bien et du mal (pour la praxis), du beau et du laid (pour la poesis). Si la philosophie était réductible à cette position de savoir ultime, elle serait sans intérêt.

L’intérêt de la philosophie depuis son origine provient du contraire, non de l’accès à la vérité ultime, mais de l’impossibilité d’accéder à cette vérité. La philosophie n’est intéressante qu’en tant qu’elle donne à voir au cours de sa recherche, la distance irréductible de la vérité : son écart constitutif. Elle institue un écart dans la recherche de la vérité qu’elle effectue. L’intérêt de la philosophie réside dans l’impossibilité d’accéder à la vérité ultime. Elle réside dans l’écart, dans la distance irréductible par rapport à une telle vérité. La philosophie est la discipline la plus fragile et la plus humble qu’on puisse imaginer. Elle institue l’écart avec la vérité au sein même de son discours. Le philosophe ne cesse de faire l’expérience du défaut de la vérité : la vérité ne cesse d’échapper à l’idée qui cherche à la capturer. Nietzsche : " La vérité reste voilée ".

La vérité en grec se dit aletheia : de ‘a’ privatif, négation et de ‘lethe’ le fleuve de l’oubli. Heidegger traduit lethe par occultation.

L’effort vers la vérité consiste à nier l’oubli, mais ne peut jamais aboutir à une pleine lumière. La philosophie mérite notre attention parce qu’elle fait l’expérience de l’oubli, de l’obscurité. En cela, elle diffère radicalement de la religion. La philosophie a renoncé dès son origine, à la naïveté de la religion. Croire à la vérité est une position de naïveté. La philosophie appartient au domaine du savoir et non de la croyance :

  • Le savoir ne cesse d’éprouver la distance qui le sépare de la vérité. Le savoir a conscience de l’ignorance d’où il provient.
  • La croyance croit fermement en la vérité, quelle soit invisible (dieu), ou inaccessible. La position minimale de la croyance consiste à croire qu’il y a vérité ultime, même inaccessible. C’est à cette naïveté que le croyant renonce quand il constate que dieu est mort.

En conclusion : il n’y a de philosophie que du manque. La plupart du temps, on feint de croire que la philosophie prend conscience de la distance qui la sépare de la vérité depuis l’époque moderne : à partir du XIXème siècle, après que Hegel ait présenté le cheminement de la conscience qui traverse tous les écarts jusqu’au savoir absolu (phénoménologie de l’esprit, 1807).

Nietzsche est le philosophe qui incarne le mieux la philosophie de l’écart, car :

  • Il critique la connaissance et le concept dans son texte : ‘Vérité et mensonge au sens extra-moral’.
  • Il critique le fondement théologique de l’existence humaine dans le livre ‘le gai savoir’. Il affirme que la vérité est de l’ordre du manque. Il pense la vérité comme une distance originaire, comme quelque chose qui diffère par soi-même. Pour le démontrer, Nietzsche présente deux métaphores :
    • La métaphore du voile : Nietzsche pense que le voile est constitutif de la vérité. Une vérité sans voile serait obscène et insupportable. Il montre le voilement lorsqu’il rapporte le mythe grec de Baubô, qui reçois Demeter qui recherche sa fille. Devant la tristesse de  Demeter, Baubô lui montre son sexe et Demeter éclate de rire. Conclusion de Nietzsche : Devant la vérité nue, on ne peut que rire. Le rire est la prise de distance face à l’impudeur de montrer la vérité. Le rire est l’emblème du ‘gai savoir’. " Aujourd’hui, c’est pour nous une affaire de pudeur qu’on ne saurait voir toute chose mise à nu ni assister à toute opération ni vouloir tout comprendre et tout savoir " (avant propos du gai savoir).
    • La métaphore de l’être : Penser la vérité comme un être qui ne cesse de s’écarter de ce qu’il est (qui n’a pas d’essence), qui échappe à la saisie du concept, à la connaissance. Dans la philosophie de Nietzsche, la femme est ce qui se dérobe sans cesse : " La femme ne ment pas, elle se dérobe ". Il est le philosophe qui a écris les plus beaux textes sur la femme, sur les relations entre femme et vérité. Au § 60 du ‘gai savoir’ : " Le charme le plus puissant des femmes est une opération à distance ".
      Et le fameux paragraphe 339 ‘Vita femina’: " Je veux dire que le monde abonde de belles choses, mais n’en est pas moins pauvre, très pauvre en beaux instants et en belles révélations de pareilles choses, mais peut-être cela fait-il le charme le plus puissant de la vie. La vie est couverte d’un voile tissé d’or, d’un voile de belles possibilités qui lui donne une allure prometteuse, réticente, pudique, ironique, apitoyée, séduisante. Oui, la vie est femme ".

Nietzsche est le philosophe qui porte à son comble la distance constitutive de la vérité. Mais les philosophes précédants n’ont jamais ignoré le fait que la nuit soit originelle et peut recouvrir le savoir :

Héraclite (présocratique) : " La nature aime à se cacher " ( la vérité aime à se crypter)

Hegel, le penseur du savoir absolu, accorde une importance fondamentale à l’obscurité : " Quand la conscience aura atteint le savoir absolu, elle ne devra pas sombrer dans l’autosatisfaction, mais devra replonger dans la nuit qui a été son point de départ ".


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D.
Ouvrir des chemins..
Conclusion.