D)
OUVRIR DES CHEMINS La
philosophie privilégie le cheminement
plus que l’aboutissement. Elle doit
à chaque fois innover et inventer,
produire de nouveaux chemins. Dans
methodos, odos signifie chemin et méta
signifie à travers. Ce qui rend l’apprentissage
de la philosophie difficile, c’est
qu’il n'y a pas de méthode mais des
chemins. Ainsi la philosophie est plus
proche de l’art que de la science.
La philosophie n’est pas réductible
à la science, qui vise plus le résultat
et suit des méthodes avérées. Ce qui
différencie le chemin philosophique de
la méthode scientifique, c’est que
le chemin philosophique n’est pas
formalisé. Il incombe à chaque
philosophe d’ouvrir un nouveau
chemin s’il veut être autre chose
qu’un disciple. Le chemin n’est
pas ce qui mène à la pensée
philosophique; le chemin est la pensée
elle-même.
Il y a une pluralité de chemins dans
la philosophie. On y a vu un signe d’arbitraire.
Or, tout philosophe doit cheminer
autrement que ses prédécesseurs dans le
domaine de la pensée. La pluralité des
chemins est le signe que la philosophie n’est
pas une science, n’est pas objective.
Mais la philosophie n’a jamais
prétendu être objective car elle sait
qu’elle a son origine dans une
‘stimmung’, subjective, une
disposition affective du sujet : l’étonnement
chez Platon, le doute chez Descartes, le
désespoir chez Hegel, l’angoisse
chez Heidegger. Ce sont les pulsions qui
philosophent. Le point de départ
de la pensée, c’est une disposition
de l’affect. C’est cette
disposition affective qui pousse le
philosophe à ouvrir tel ou tel chemin :
Exemple |
Affect |
Chemin |
Platon |
L’étonnement |
Ascensionnel ou
vertical |
Descartes |
Le doute |
Rectiligne horizontal |
Hegel |
Le désespoir |
Circulaire |
Heidegger |
L’angoisse |
Sans but, qui ne
mène nul part |
Nietzsche : " Ce
sont les pulsions (die Triebe) qui
philosophent ". La
philosophie sait ce que la science a
oublié, que l’objectivité ne
suffit pas à elle-même. Le point de
départ de la réflexion est une
disposition affective et non une
disposition de la raison.
Quatre types de chemins :
- Ascensionnel :
le plus célèbre parce que le
premier. C’est celui de
Platon (428-347 av. J-C).
C’est l’emblème du
cheminement philosophique : Il
implique un revirement, un retournement
complet de l’âme. L’âme se
détache du sensible et accède à l’intelligible.
Le savoir est entendu comme quelque chose
qui élève l’existence. Cette
philosophie instaure l’idée qu’elle
est elle-même la plus élevée. Le
philosophe ne se contente pas de décrire
le savoir, mais il expose le chemin qui y
mène; la réflexion philosophique est
toujours liée à une réflexion
pédagogique. Il s’intéresse plus
au chemin qu’au résultat, et
notamment :
- Aux efforts qu’il faut
fournir.
- Aux obstacles, aux régressions.
- A l’écart qui sépare l’existence
humaine du but. Cet écart est
irréductible sinon la
philosophie n’a plus lieu d’être.
Cette figure de l’ascension, du
revirement, se retrouve dans toute la
tradition occidentale et la pensée
chrétienne, en particulier chez Saint
Augustin. Il pense le processus
du monde comme un couple de tournants :
- La perversion, la chute, le
tournant vers le bas. La vie se
détourne de son origine biblique.
L’homme croit être en
mesure d’agir par lui-même.
Même si l’homme croit
pouvoir faire le bien par lui-même,
c’est aussi pervers que de
faire le mal. Il y a donc une
mauvaise manière de faire le
bien. L’homme ne peut pas
sortir de la perversion par lui-même,
puisque le ‘par lui-même’
est la source de la perversion. L’idée
de se sortir soi-même de la
perversion, c’est une
perversion au carré, l’adoration
de soi.
- La conversion, la révolution qui
sauve, qui est le contraire de la
perversion, ne peut venir que de
Dieu lui-même. Saint Augustin :
" Dieu a décidé de
rappeler à lui les créatures
déchues que sont les hommes, en
envoyant un messager : le
Christ ". Dieu
offre la possibilité à l’homme
de se retourner vers le haut :
c’est la Rédemption, la
grâce, l’aide surnaturelle
que dieu accorde en vue du salut.
On a affaire à un même chemin de la
chute et de la Rédemption dans la
philosophie politique de Rousseau. C’est
l’homme lui-même qui a les
ressources politiques de se retourner une
deuxième fois après avoir sombré dans
l’amour propre. Ce modèle
ascensionnel persiste jusqu’à
Heidegger.
- Rectiligne
horizontal (Descartes 1596-1650)
Ce chemin ne vise plus
le revirement ou le retournement complet
de l’existence humaine mais
recherche une certaine efficacité. Il
est de l’ordre du calcul et
recherche la fondation sûre et ferme du
savoir. Le chemin (Odos) est devenu
méthode (methodos). Chemin fondé par
Descartes. L’homme est désormais
capable de fonder le savoir par lui-même :
- Sans recours à la
moindre transcendance (c'est-à-dire
à ce qui le dépasse, de l’ordre
du divin),
- Sans chercher à
élever son existence, sans se
transformer lui-même.
Ce chemin renvoie à l’objectivité
scientifique, qui est fondée par deux
choses :
- L’idée de
sujet pensant, le cogito de
Descartes
- Des règles
universelles de la méthode.
Discours (il y en a 4) de la
méthode (1637).
Cette objectivité
scientifique a une finalité : elle
vise la domination ou la maîtrise de la
nature. Il est tout à fait significatif
que dans le discours de la méthode,
Descartes ne fait aucune allusion à une
transformation de l’existence
humaine : il n'y a plus d’attitude d’élévation,
de conversion ou de revirement qui sont
propres à la philosophie antique puis
chrétienne et que l’on retrouve en
dernière instance chez les humanistes de
la renaissance.
Le chemin rectiligne
est développé par Descartes de 2
manières :
- Il faut
reconstruire des chemins plus
rectilignes, plus fermes, plus
sûr, en détruisant les anciens
chemins trop escarpés, trop peu
sûrs. Image de la planification
urbaine.
- Le chemin
rectiligne signifie aussi qu'il y
a une perte : que les
anciens savoirs (notamment la
scolastique du moyen âge) nous
sont perdus. Ne reste alors qu’une
solution pour Descartes:
aller tout droit, quelle que soit
la direction que l’on a
choisie. On aurait alors peut-être
la possibilité de sortir de la
perte. Cette idée est montrée
par la métaphore de la forêt (Dans
la deuxième des 3 maximes de la
morale provisoire) : " Imitant
en ceci les voyageurs qui se
trouvent égarés en quelque
forêt, ils ne doivent pas errer
en tournoyant, mais marcher
toujours le plus droit qu’ils
peuvent vers un même coté et ne
changer pour de faibles raisons,
encore que ce n’ait peut-être
été au commencement que le
hasard seul qui les ait
déterminés à le choisir ".
Si on applique cette
métaphore à la science moderne, au
savoir moderne, cela veut dire que la
science est incapable de rendre compte de
la direction qu’elle a choisie, de
son but.
Même si la direction
est hasardeuse, il faut que la science
avance tout droit, en espérant trouver
une sortie de la forêt, c’est-à-dire
de la confusion dans laquelle elle se
trouve.
Pourtant, malgré le
fait que le chemin rectiligne soit
dominant chez Descartes, il ne faut pas
se leurrer, la philosophie de Descartes
est encore soumise à l’erreur, à l’errance.
A tel point que le chemin rectiligne
reste pour lui un rêve, un idéal qui
demeure inaccessible. Ce chemin est
souvent solitaire, nocturne, comme cela
apparaît dans la deuxième partie du
discours de la méthode lorsqu’il se
confesse : " Un homme
qui marche seul est dans les ténèbres ".
Et c'est bien parce que
le chemin rectiligne reste de l'ordre du
rêve ou de l'idéal que le discours
philosophique cartésien n’est pas
totalement soumis à la méthode
scientifique, à la science, car s’il
l’était totalement, il ne serait
plus un chemin philosophique.
- Le chemin circulaire
(Hegel 1770 – 1831)
Hegel n’en est pas l’inventeur,
mais l’utilise systématiquement. Le
chemin circulaire correspond à l’idée
que la conscience ou esprit ne progresse
pas de manière linéaire mais en
revenant sans cesse sur lui-même pour
prendre conscience de ce qu’il est
en train d’expérimenter.
On a souvent attribué à Hegel le
souci de constituer un savoir
encyclopédique (le souci de faire le
tour de tous les savoirs, expériences et
pratiques humaines, jusqu'à la position
de ce que Hegel appelle le savoir absolu).
Ce n’est pas faux, mais il n’est
pas du même type que l'encyclopédisme
des lumières, du 18ème
siècle dont l’encyclopédie de
Diderot et de d’Alembert est le
symbole, car il ne s’agit jamais
chez Hegel d’accumuler des savoirs,
ni d’une juxtaposition, d’une
collection, mais d’un cheminement de
la conscience qui, au fur et à mesure qu’elle
progresse, intériorise un certain nombre
d’expériences qu’elle fait sur
elle-même. C'est bien pour cela que
Hegel critiquera toujours d’une
manière sévère le savoir
encyclopédique traditionnel, jugé
abstrait. Il appellera ce savoir le
savoir de l’entendement, séparé du
sujet qui recueille ce savoir, arbitraire,
opposé au savoir de la conscience. Le
souci de Hegel, c’est que la
conscience recueille en elle-même le
savoir, à chaque moment de son parcours.
Conscience : Bewustsein,
vient de wissen, savoir.
Travail de recueillement à l’intérieur
de la subjectivité de ce savoir :
cela veut dire que la conscience doit
revenir sur chaque objet pour se l’approprier
et qu'elle doit aussi progresser d’objet
en objet, pour atteindre le savoir absolu.
Première circularité : la
conscience s’approprie les objets qu’elle
rencontre.

Deuxième circularité :
progression d’objet en objet pour
atteindre le savoir absolu.
Quels sont les
objets sur lesquels la conscience fait l’expérience
et doit s’approprier?
L’objet sensible,
l’objet nommé (du langage), l’objet
du désir (l’autre sujet que l’on
rencontre), l’objet entendu (de l’entendement,
le premier savoir abstrait), de la
culture, de l’art, de la religion,
de la philosophie. Au fur et à mesure,
on voit que l’on s’élève dans
l’objet, l’objet devient de
plus en plus spirituel.
Le savoir absolu n’est
pas pour Hegel un savoir total mais le
savoir où la conscience et l’objet
sont totalement unifiés. Ce moment n’arrive
évidemment qu’à la fin, dans le
concept philosophique.
Ce travail de prise de
conscience est sans fin, car la
conscience ne cesse de creuser son unité
avec les objets qu’elle expérimente.
La métaphore du cercle (le grand) montre
l’inachèvement du processus plutôt
que la clôture. Il faut sans cesse
recommencer le tour du cercle en oubliant
tout ce qui précède. La circularité
signifie chez Hegel qu’il n’y a
pas de sortie.
Dans la dernière
page de la phénoménologie de l’esprit,
Hegel écrit : " L’esprit
doit recommencer à la fin, depuis le
début, aussi naïvement, comme si tout
ce qui précède était perdu pour lui,
et comme s’il n’avait rien
appris de l’expérience ".
Le 'naïvement'
signifie qu’il n’y a pas de
notion de progrès en spirale, comme si
tout ce que l’on avait fait était
perdu pour la conscience. Et cela tous
les philosophes et artistes le savent.
Questions-réponses :
Q
: Est-ce que la conscience ne
peut pas prendre exemple et se souvenir
des pièges qu’elle a rencontrés
dans le passé?
Hegel craint que si on
s’appuie trop sur l’expérience
passée, on ne refait pas le parcours d’une
manière vivante, comme la première fois.
Donc on s’appuie sur des savoirs
abstraits, une accumulation de souvenirs
et on perd alors la naïveté du chemin,
l’élan de la conscience qui chemine
véritablement. On serait dans le savoir
encyclopédique traditionnel. Il vaut
mieux perdre le souvenir de ce que l’on
a intériorisé plutôt que de le
transformer en savoir abstrait. Il vaut
mieux ne rien savoir que de s’appuyer
sur un savoir antécédent. Si vous ne
recommencez pas le parcours, vous n’arrivez
pas à une relation vivante entre la
conscience et ce qu’elle
expérimente. Hegel ne veut pas que la
conscience s’appuie sur un savoir
mort, car alors l’homme ne vit pas
en tant que conscience. On peut dire qu'il
s'agit d'humilité, de fragilité aussi,
beaucoup de travail également.
Q
: Le moteur de l’élan n’est
il pas le découragement?
Oui, le moteur de l’élan,
ou plutôt du mouvement est chez Hegel, c’est
qu’à chaque moment où elle
intériorise un savoir, la conscience
désespère d’être. On peut dire
que chez Hegel, le moteur du mouvement
est le désespoir. Même lorsqu’elle
atteint le savoir absolu. Cela veut dire
que dans le désespoir, il n’y a pas
de porte de sortie.
Q
: Vision pessimiste de Hegel?
Non, dans le sens où
le mouvement de la conscience est un
mouvement dynamique. On pourrait même
dire qu’elle est optimiste, si on ne
voit pas le travail de la conscience
comme une souffrance seulement, mais le
témoignage de la vie de la conscience.
Q
: Le chemin circulaire devrait
amener autre chose, un ajout, à chaque
tour.
Oui, mais comme on a
oublié ce que cela a amené avant dans
le tour précédent, on ne peut pas
comparer.
Si la conscience s'appuyait
sur son passé, ce serait une conscience
en sommeil. On est autre, mais on ne sait
pas qu’on est autre : la
mémoire joue tant qu’on est dans le
même cercle, on intériorise les objets.
Intérioriser les objets se dit 'errinerung'
en allemand ; on les intériorise par le
processus de la mémoire. Mais il faut
que la mémoire, à un moment donné,
oublie ce qu’elle a intériorisé,
sinon cela vous bloque. Blocage de la
conscience qui ne peut pas recommencer le
travail. Et cela tous les philosophes et
artistes le savent lorsqu’ils sont
en face d’une nouvelle œuvre à
faire, ils ont systématiquement tout
oublié. Parce que s’ils n’oublient
pas tout, ils ne peuvent rien faire.
Reprise :
- Le chemin qui ne mène nul
part (Heidegger 1889-1976)
C’est un chemin
propre à la modernité, à une époque
qui a perdu l’idée de but et l’idée
de sortie (de la forêt). Le penseur qui
pratique le chemin qui ne mène nul part
sait qu'il n'y a pas de but ni de sortie,
il reste dans l’obscurité de la
forêt. C’est d’ailleurs ainsi
que l’on a traduit le titre d’une
œuvre de Heidegger ‘Die
Holtzwege’ : ‘les chemins
qui ne mènent nul part’. ‘Holtzwege’
désigne les chemins forestiers, qui s'enfoncent
dans la forêt et s’interrompent
tout à coup.
Il s’agit de
pénétrer au cœur de la forêt
entendu que ça ne mène strictement à
rien.
Le philosophe,
Heidegger notamment, s’installe dans
un élément à l’écart de ce que
représente la ville, la technique et la
planification. A tel point que les
chemins forestiers semblent être les
derniers lieux où une sérénité, un
questionnement de la technique serait
possible.
On a beaucoup reproché
à Heidegger le fait de s’opposer à
la ville et à sa vie totalement soumise
aux exigences de la technique et ce jusqu’au
sein des loisirs et de la liberté. On y
a vu une sorte de repli sur une origine
qui aurait été préservée. Peter
Sloterdijk dans ‘L’heure du
crime et le temps de l’œuvre d’art’
écrit :
" Le
penseur que beaucoup considèrent comme l’un
de ceux qui ont mis en mouvement la
philosophie au cours de ce siècle est,
par sa dynamique personnelle, un homme
qui refuse le déménagement, qui ne peut
être auprès de soi-même, que dans une
proximité constante avec ses premiers
paysages. ".
(déménagement
: allusion au fait que Heidegger ait
refusé le poste de professeur de
philosophie à l'Université de Berlin qu'on
lui proposait, en écrivant un texte
devenu célèbre : 'pourquoi nous restons
en province'.)
Le texte poétique de
Heidegger qui montre le mieux cette
insistance sur les premiers paysages s’appelle
le chemin de campagne : 'Der Feldweg'.
C’est le texte de Heidegger qui va
le plus loin dans la préservation de l’origine.
C’est un chemin qui ne va toujours
nul part, mais qui rassemble et qui
recueille. Heidegger y dit ceci : " Le
chemin rassemble ce qui a son être
autour de lui; et à chacun de ceux qui
le suivent, le chemin donne ce qui lui
revient : les mêmes champs, les
mêmes pentes couvertes de prairies, font
escorte au chemin de campagne, en toute
saison, proches de lui, d’une
proximité toujours autre.". On
voit bien ici que quelque chose est
préservé, qui tourne autour du chemin.
C’est au nom de ce chemin qu’il
y a un retrait, que quelque chose s’écarte
(de la technique), qui reste sauf. Pour
cela, il faut qu’il y ait des
humains qui soient fidèles à ce chemin.
Il dit plus loin : " Mais
le chemin ne nous parle qu’aussi
longtemps que les hommes, nés dans l’air
qui l’environne, ont pouvoir de l’entendre.
Ces hommes sont les servants de leur
origine, non les esclaves de l’artifice.".
Il y a ici l’idée que le chemin qui
préserve, n’est accordé qu’à
ceux qui restent, nés dans l’air
qui environne, et Heidegger ajoute qu’ils
sont peu nombreux. Alors qui sont-ils?
Heidegger ajoute que c'est ceux-là seuls
qui pourront un jour survivre aux forces
gigantesques de l'énergie atomique !
Comme quoi on va ici très loin dans le
pathos.
A partir de ce texte,
le professeur propose deux questions :
- Si le ‘chemin
qui ne mène nul part’ est
nécessaire pour que l’existence
humaine puisse échapper à l’artifice
technique, "se
soustraire à la fervens qui ne
produit que le vide" (la
ville), ce chemin n’est-il
pas malgré tout, un chemin qui
mène quelque part, vers une
sorte de sortie minimale, vers un
lieu où l'on pourrait survivre
à la technique, qui mènerait à
un espace libre qui donne un sens
à l’existence humaine et
lui donne une sérénité.
Heidegger parlerait d’un gai
savoir du chemin de campagne,
mais dans un tout autre sens que
Nietzsche : dans le sens de la
malice du paysan suave, d'une
sagesse malicieuse.
- Pourquoi
privilégier le chemin de
campagne ? Sur d’autres
expériences du nul part, de la
perte de sens comme par exemple l’expérience
de la mer qui chez Nietzsche et
Hölderlin désigne justement un
pur espace où il n’y a pas
de but. Est-ce qu’il n’y
a pas dans la métaphore
pastorale chez Heidegger malgré
tout l’espoir d’un
enracinement possible, que la
métaphore maritime engloutirait
complètement.
Ces questions pour
montrer que le ‘chemin qui ne mène
nul part’ obéit, ou est soumis à
une difficulté que nous éprouvons
aujourd'hui encore, après Nietzsche et
Heidegger. Cette difficulté peut être
énoncée comme un paradoxe : d’un
coté il faut que la philosophie soit
fidèle à l’absence de but qui
caractérise la civilisation technique,
mais d’un autre coté, il faut que
le chemin philosophique s’écarte de
l’absence de but de la technique
afin de poursuivre son questionnement.
C’est là la
difficulté : comment s'écarter de
l’absence de but de la technique
tout en restant fidèle, comment
instaurer un écart qui ne soit pas un
repli illusoire sur une origine et qui
reste fidèle à l’objet (la
technique) qu’il faut questionner ?
Ou encore jusqu’où l’infidélité
peut-elle être une preuve de la
fidélité. Et inversement, comment être
assez fidèle au nihilisme sans l'être
trop, sans l’épouser.
Questions toujours
actuelles et qui sont loin d'être
résolues.
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